NOUVELLES

Régulièrement, vous trouverez sur cette page des nouvelles écrites par des détenus ou ex-détenus. Le principe n'est pas de décrire le milieu carcéral mais d'exprimer à travers un récit romancé des instants ou des pensées vécus de l'autre côté des murs. Chaque auteur y a sa place. Adressez-nous dès à présent vos textes accompagnés de vos coordonnées, ils seront rapidement publiés sur cette page.
 
 
Descente aux enfers.


Comment était-ce possible ? Comment en était-il arrivé là ? Comment un tel lieu d'abandon pouvait-il encore exister de nos jours ? Mais à quoi bon de telles questions, il était dans ce trou à rat, où même les rats d'ailleurs ont fui depuis longtemps. Seuls les hommes persistent encore à y enfermer leurs semblables. Au fil des années, Franck avait fini par se demander s'il connaîtrait un jour ce type de situation. Il n'imaginait pas que le jour où cela arriverait, ce serait dans un des lieux les plus infects et repoussants qui soient. Surtout, il n'aurait jamais songé que cela soit pour ce genre de faute et que cela susciterait une telle douleur d'être arraché brutalement à celle qu'il aime. Et voilà que ce triste constat se révélait dans toute son horreur, au point qu'il n'avait pu retenir ses larmes. Elles avaient coulé longtemps, jusqu'à ce que la fatigue s'empare de lui et que le désespoir le terrasse, les yeux trop secs pour produire quoi que ce soit, prostré dans une sorte de demi-mort, indifférent à tout, prêt à tomber raide, sur place, si la foudre venait à renouveler son exploit ! Oui, si la foudre lui était tombé sur la tête, l'effet n'aurait pas été plus terrible. D'abord, il y avait eu la rapidité, la brutalité de l'enchaînement des événements. 

Dans la vie de tous les jours, lorsque survient un problème, on a souvent un peu de temps pour s'y habituer, pour s'y conditionner, pour en accepter, sinon la réalité, du moins les conséquences douloureuses. Là, en quelques minutes, il était passé du bonheur à l'angoisse, sans crescendo dans cette descente aux enfers. Toute résistance avait été inutile, d'autant que les gros bras pour le traîner jusqu'au cachot ne manquaient pas. Franck avait pensé qu'il allait se retrouver en cellule, en attendant de passer au prêtoir. Quand il avait réalisé qu'on l'emmenait au mitard, il avait eu du mal à y croire. Tout s'était enchaîné si vite, depuis le ton faussement compréhensif du gradé, jusqu'à la violence et l'agressivité de king kong, ce salopard de maton black qui n'exprimait que haine et vice. Il avait tout fait, ce salaud, pour provoquer Franck, le pousser à sortir de ses gonds, espérant ainsi avoir une bonne occasion de le rosser. Cela n'avait pas été facile de résister à l'envie de se jeter sur ce gorille malfaisant. Surtout lorsque c'est lui qui s'était désigné volontaire pour mener la fouille en règle qui avait suivi l'éviction de Franck du parloir. A un moment, devant le mépris et l'arrogance affichés par ce salaud de maton, Franck n'avait pu réprimé une réaction, il avait projeté son caleçon à la face de King Kong lorsque celui-ci lui avait demandé de l'enlever. Généralement, le maton se contente de demander au détenu de baisser son slip. Là, il avait exigé qu'il l'enlève, forçant davantage l'humiliation. Par réflexe plus que par calcul, Franck l'avait prestement ôté et avait tendu à King Kong son trophée, le propulsant jusqu'à son visage, juste assez pour montrer sa révolte, mais pas suffisamment pour justifier une intervention du gorille. Entre lui et Franck, la guerre était désormais ouverte et la moindre faute de part et d'autre ne serait jamais pardonnée. Après cela, quelques minutes d'attente dans une pièce sans fenêtre, et puis la terrible surprise : direction le mitard !

A quoi bon se révolter, à quoi bon refuser puisque de toutes façons, les bras ne manquent pas pour vous y emmener. Mieux valait se montrer soumis pour ne pas aggraver la sanction officielle qui ne manquerait pas de tomber durant le prêtoir. Parce que dès cet instant, plus question d'imaginer obtenir du sursis. En tôle, on légitime toujours la punition préventive. Dès l'instant où l'on rentre au mitard, on peut être certain que l'on va être « condamné » au minimum au nombre de jours que l'on y aura passé en attendant la sanction. Pas d'excuse à donner si on avait mis au cachot un peu trop rapidement, on avalise systématiquement. Et même si une contestation de la punition devait aboutir favorablement, jamais on n'enlèvera cette sanction, ce qui est fait est fait ! Dès l'instant où l'on est conduit au mitard, la première question à poser est de savoir quand aura lieu le prochain prêtoir. C'est un peu comme si, on devait se baser sur la date de la prochaine audience pour savoir quelle sera sa peine minimum. Là où était Franck, le prêtoir c'était le jeudi. Horreur totale, entrer au mitard le week end, il allait donc devoir attendre au minimum 5 jours pour savoir quel est son sort. Le week end, il n'y a que les gradés, pas de direction ou si peu. Pas de « recours » ou d'intervention officieuse possible. C'est le gradé qui décide, selon son humeur.

Ce que n'imaginait pas Franck, c'était cette crasse, l'aspect misérable de ce lieu sordide qu'il n'avait jamais connu jusque là, depuis plus de huit ans passés derrière les barreaux. Il avait vraiment été saisi, de franchir ces portes lourdes, de découvrir cette atmosphère de moyen âge, de poussière, de saleté innommable. Combien de malheureux avaient été enfermés en ces lieux ? Combien de « capital-souffrance » cet univers sordide avait-il accumulé ? Qu'avait donc vécu cette cellule où l'on poussait Franck à cet instant ? Impossible de concevoir qu'un tel lieu puisse encore exister à cette époque. Ce décor de cauchemar n'avait sans doute pas été visité par une quelconque autorité de l'extérieur depuis des lustres. Un sommier en béton ou en bois, excellent pour ceux qui souffrent du dos, un matelas pour la nuit qu'on vous retire avec les draps durant la journée. Il ne faudrait tout de même pas que le puni roupille confortablement la journée, c'est une punition sacrebleu ! Les autres uniques pièces du mobilier sont constituées d'une table et d'un tabouret, tous deux scellés dans le mur ou le sol et parfois même ils sont comme moulés dans la cellule, émergence en béton du sol et des murs. La cellule elle-même constitue alors, à la fois la pièce et les meubles, oeuvre sans doute d'un architecte frustré ou faussement imaginatif. Ajoutons un lavabo lui même très solide et solidaire de son mur et côté toilettes, rien. Oui, rien, enfin rien de civilisé ! Juste un seau hygiénique à faire vomir les plus endurcis, rien qu'à la vue. Ne parlons pas de soulever le couvercle de cette horreur, son contenu immonde et noirâtre interdisait à Franck d'en approcher et encore moins d'y poser ses fesses. Dès le premier soir, c'était décidé, il ne poserait ses fesses que sur un seau hygiénique propre.

Il était dans son droit, le droit à l'hygiène, le droit à l'humanité, il ne céderait pas et ferait la grève des toilettes tout au long de son séjour au mitard, aussi longtemps que cet ustensile infect lui serait imposé. Là, seul avec ses pensées, il avait l'impression d'être abandonné du monde. Même les bruits semblaient absents, dédaigneux et insaisissables. Du reste, pas question de chercher à les capter en collant son oreille contre la porte, celle-ci est inaccessible. Comme si ce monument de bois et de fer ne suffisait pas, une énorme grille rouillée était un rempart supplémentaire à la sortie. Cela interdisait toute agression vis à vis de celui qui ouvre la porte. Même lorsque la porte est ouverte, on est encore enfermé. Cela ne faisait qu'accroître la sensation de punition, d'exclusion, ,on est là, telle une bête obscure, au fond de son chenil, à peine si on lui accorde le droit de respirer. Elle est en sursis, on condescend à la laisser consommer une part imbue d'oxygène. Elle est aux frontières de l'existence, de celle que l'on peut accorder ou reprendre. La bête est captive, avant d'être soumise au châtiment. Rien ne peut l'y soustraire, il n'y a de place que pour la soumission et l'acceptation d'une régression de ses droits et de ses espoirs. Comment s'étonner que certains ne pensent qu'à y échapper malgré tout, en quittant la vie, leur seule liberté préservée ?

Oui, Franck avait eu envie d'y échapper lui aussi, il s'était senti si misérable que seul l'amour qu'il portait à la femme de sa vie avait réussi à lui donner envie de ne pas baisser les bras. Il l'imaginait, plus malheureuse encore que lui, souffrant de tout son être de le savoir lui, plus captif encore, plus inaccessible que jamais. Il savait qu'elle aurait tout donné pour lui épargner cette horreur. Il voulait triompher de cette hydre monstrueuse pour lui offrir de nouveau le bien-être de ses bras. Il voulait atteindre un jour meilleur, de ceux qui effacent à jamais les douleurs du passé. Il voulait son bonheur, son sourire épanoui ! Il voulait se battre pour triompher définitivement de l'adversité carcérale. Sans elle, il se serait recroquevillé dans un coin de poussière, indifférent à son sort, attendant la fin du châtiment sans savoir s'il l'atteindrait. Alors, les journées et les nuits s'étaient succédées, avec une lenteur aussi cruelle qu'inexorable, avec le courrier qui tarde, la nourriture qu'on finit par se forcer à avaler au bout de quelques jours, mais que même un animal n'oserait pas toucher. Et puis la crasse, cette crasse permanente qui vous colle à la peau, que même les deux douches hebdomadaires ne parviennent pas à chasser. D'ailleurs, le lieu prévu pour la douche était si crasseux lui aussi que l'on se demandait si l'eau qui y était disponible n'était pas elle aussi crasseuse, pour ne pas dépareiller l'endroit. Les promenades qu'on refuse, parce que se promener dans un lieu sans horizon, sans ciel et aussi vaste que son cachot n'a rien de motivant. A quoi bon sortir puisqu'il ne s'agit pas de sortir mais de rentrer dans une autre forme de geôle, plus perverse peut-être. Entendre un peu de bruits issus de l'humanité, apercevoir un peu de ciel sous des grillages, deviner qu'ailleurs, la vie continue, quoi de plus pervers pour mieux faire souffrir le puni ! Autant se contenter de sa crasse habituelle, retrouver son stylo et les quelques rares objet familiers auquel on a droit. Autant tuer les jours avec son univers auquel on s'habitue, plutôt qu'en supportant les contrastes douloureux. A vivre dans le noir, le regard s'habitue à l'obscurité, au point que la lumière trop vive devient une douleur.

Il en était de même pour la promenade, elle n'était qu'un contraste de torture, comparée à l'enfermement habituel. Elle n'avait de sens que de rappeler au puni toute l'essence de la punition. Le simple rituel du maton qui ouvre la porte et annonce : « Promenade ! » était ressenti par Franck comme une humiliation de la plus atroce perversité. Comment l'administration pénitentiaire pouvait-elle s'arroger le droit de pervertir un tel mot, de le rendre misérable, de le souiller à ce point ? Se promener, c'est l'expression même de la liberté, d'une forme de bonheur faite de marche, d'air pur, d'espace pour les yeux et le corps. Avoir le regard qui se perd aux confins de l'horizon, quel luxe ! La prison prive l'humain de l'horizon ! L'horizon est confisqué avec la liberté, cela fait partie du lot commun du reclus. Franck se souvenait qu'au début de sa sortie, il avait eu du mal au début à apprécier les distance, en voiture par exemple. Privé d'horizon pendant des années, il n'était plus habitué à soumettre à son regard la mise au point de distance supérieures à quelques dizaines de mètres. Mais au delà de cette confiscation de l'espace, Franck songeait que la plus grande perversité du système était dans la façon que la société avait de concevoir la prison. Le mitard en était l'expression la plus crue et la plus dépouillée, comme un fruit amer débarrassé de sa gangue, plus d'habillage, la réalité est exposée à l'état brut. Le mitard, son but est d'enfermer, d'isoler et de donner à cet enfermement un sens de punition le plus strict possible. Cruelle punition, oui ! Le mitard, expression la moins travestie de l'enfermement tel que le système le conçoit. Ce lieu semblait à Franck le dernier niveau de déchéance dans la détresse humaine. Dire que certains passaient quarante cinq jours dans cet enfer, sans voir personne que des matons trois fois par jour au gré des relèves ou des repas ! Comment peut on humainement priver un individu du droit de parler à ses semblables ? Franck se souvenait qu'après sa sortie du mitard, il s'était senti déprimé, plus marginal encore et il avait eu un peu de mal à se remettre à parler avec ses collègues. Après la censure du mitard, le retour au bruit et à la vie carcérale normale est difficile. Pour Franck, ce « séjour » n'avait duré que dix jours. Dix jours qui lui avait semblé une éternité, deux week end de ténèbres ! Le passage au prêtoir lui avait laissé un amère goût d'injustice dans la bouche. Une vraie mascarade organisée par l'autorité pénitentiaire. Il avait eu le sentiment que c'était comme une distraction, un jouet pénitentiaire, on jouait à rendre à la justice ! Pour certains, c'était carrément jouissif, l'occasion d'affirmer son autorité écrasante, quel pied pour le maton frustré !

Franck se souviendrait toute sa vie de cette pièce assez sombre, avec une ambiance martiale. Au centre, une imitation de barre, comme celle des tribunaux, peut-être pour donner l'illusion de légitimité à ce tribunal d'exception. Et face à cette barre, le panel de toute l'autorité pénitentiaire locale. Depuis le directeur ou son adjoint jusqu'aux gradés responsables de détention. Alignés comme des magistrats, le regard dur ou narquois selon les cas, tous avait toisé Franck comme pour mieux l'écraser encore. Et tout autour de la pièce, des matons et des bricards, prêt à bondir si le puni se rebelle. Là, c'était pas le lieu idéal pour une rébellion, seul contre une bonne vingtaine de bras, aucune chance de s'en sortir. S'il n'y avait pas eu cette douloureuse conséquence de la sanction finale, Franck aurait presque eu envie de rire de cette parodie de justice. Tous les acteurs de cette mauvaise pièce avait tellement l'air de croire à leur rôle, de s'y investir totalement que c'en était presque irrésistible. D'abord, lecture du rapport d'incident par le chef d'établissement, lecture parfois corrigée par égard au maton qui s'était exprimé dans un Français approximatif. De toutes façons, l'orthographe et la grammaire n'ont pas leur place dans un rapport d'incident, comme les lettres anonyme, comme les actes de délation, l'essentiel est d'accuser, de dénoncer !

Ensuite, l'accusateur étant supposé digne de fois, selon le degré de « sympathie » que revêt l'accusé et sa conduite précédente en détention, le chef de meute va alors prononcer un verdict. Tout juste si Franck avait eu l'occasion de dire quelques mots pour tenter de se défendre. Très vite, il avait compris que cette mascarade n'avait pour but que de punir et pas de juger. Juger, c'aurait été donner la possibilité de s'expliquer, de plaider sa cause. Là, Franck avait été très vite coupé dans ses élans. La sanction était tombée au bout de cinq minutes : dix jours de cachot et surtout, deux mois de suspension de parloir ! Pas de délibéré, pas de plaidoirie, on est là pour punir, point ! Toute contestation doit se faire par écrit, après le prêtoir ! Franck s'était alors retrouvé dans sa cellule sordide, encore plus abattu que lorsqu'il l'avait quitté. Il savait qu'il ne couperait pas au mitard, mais il avait espéré pouvoir s'en tenir aux six jours qu'il avait déjà purgé, voir sept, allez, pour faire un chiffre rond. Il avait espéré pouvoir plaider sa cause, pouvoir mettre en avant le fait que c'était son premier rapport d'incident en huit ans de détention. Conduite exemplaire, rien à lui reprocher ! Mais non, peine perdue, il fallait faire mal, plus mal encore en lui infligeant un deuxième week end de torpeur. Et surtout, ces deux mois de solitude, d'isolement, de distance imposée vis à vis de celle qu'il aimait, la cruauté était bien au rendez-vous. Il ne s'était pas agit de punir, pas seulement, il avait été question de faire mal, très mal, pour l'exemple et aussi parce que Franck et son Amie n'avaient pas l'habitude de se laisser faire par cette administration bornée. Là, c'était l'occasion de leur imposer dans la douleur la soumission. La perversité de ces êtres gris dépassait de loin celle de certains de leurs pensionnaires, Franck l'avait définitivement compris ce jour là, en réintégrant le mitard. Et le grincement de la grille d'acier puis le claquement sourd de la lourde porte qui s'étaient fermés sur lui avaient sonné le glas du désespoir absolu ! Un jour, il parlerait de tout cela !


 
Un texte envoyé par Levdavid

PRISON: MODE D’EMPLOI

L’ARRESTATION :

Hormis les rares cas d’intervention du GIGN, l’arrestation se produit souvent au petit matin. Ce n’est pas un problème D’heures légales, en fait la police fait retraite la nuit et vous laisse la possibilité D’être chez vous du coucher au lever du soleil. Prévenir l’arrestation : c’est se demander pourquoi c’est votre tour ? "J’ai laissé partir les chiens, les cochons, les poules... tout le poulailler et un jour, ce fut mon tour".

La police se présente chez vous : n’indiquez pas spontanément où se trouvent la drogue, le butin ! Bien sûr, les juges tiendraient compte de votre coopération mais ceux-ci ne viennent peut-être que pour leurs étrennes ou des querelles de voisinage.

Vous et moi savons que vous êtes innocent : emportez quand même de l’argent, des vêtements chauds et des cigarettes ! Les premiers jours en prison sont difficiles et ce n’est pas "tout nouveau, tout beau". Evitez l’éternel jogging dont sont affublés la moitié des détenus en préventive. 

LA GARDE A VUE :

Le principe, c’est le silence. La seule chose à savoir, c’est les faits qui vous sont reprochés. Ne participez pas.

Si par le plus grand des hasards, un des policiers se débarrasse de son arme... cran de sûreté levé et balle dans le canon... dans un tiroir à votre portée : ne tentez pas un coup D’éclat, vous feriez le vingt heures D’un policier en légitime défense.  Ne réclamez pas un Avocat pour, en sa présence, vous mettre à table : la police n’instruit pas en défense. Gardez le silence et préparez-vous à l’audition devant le Procureur.

Durant la garde à vue, un médecin a pu être réquisitionné pour vous examiner : il ne peut rien pour vous, c’est juste les policiers qui se sentent morveux, par habitude. Après tout ça, vous pouvez la tête haute présenter votre meilleur profil lors de la séance de photos du fichage. Ne refusez pas : c’est un détail. Souriez ! C’est dérisoire.

L’INCULPATION :

Vous êtes conduit devant le Procureur, il vous notifie les chefs D’inculpation : pas de négation, pas d’approbation... Pas besoin D’apporter de l’eau à son moulin.
Puis, le Juge D’Instruction de service : déjà, celui-ci ne fait pas une audition sur le fond, n’avouez pas trop vite ! La caractérisation des faits peut attendre, là encore, D’avoir un avocat : ça peut faire la différence future entre les assises et la correctionnelle. Ca doit être une audition en présence de votre Avocat à qui vous aurez eu le temps de parler auparavant.  Il se peut que vous soyez conduit à l’IPPP (l’infirmerie psychiatrique de la préfecture de police) pour y être examiné :
leur seul but est de savoir si vous êtes dangereux et dans ce cas il n’aurait pas à vous offrir une promenade de santé. Ne cédez pas : calme, détendu, patient et silencieux.

Vous avez compris, l’inculpation, c’est une valse ! N’en faites pas un tango et demandez la mise sous contrôle
judiciaire : vous êtes innocent, c’est à eux de faire la preuve de votre culpabilité.

LES PREMIERS JOURS EN PRISON

Vous êtes conduit à la prison du voisinage de votre lieu D’inculpation. La première humiliation, c’est la fouille. Nu, on vous demande de présenter tous vos cotés pendant qu’un autre palpe vos vêtements. Cela se refera à chaque transfert lors des auditions chez le juge. Même si, en préventive, vous gardez vos habits civils, il ne faut pas se laisser marcher sur les pieds.

Aussitôt incarcéré, demandez votre mise en liberté au directeur de la prison : faut pas se laisser gâcher le moral, surtout là. Vous ne choisirez pas votre cellule, ni vos collègues. Toutefois, vous pouvez demander, par désir de solitude, à être incarcéré au mitard. C’est envisageable et même conseillé si vous êtes un violeur : en prison, sous cette inculpation, vous n’aurez droit à aucune estime et je ne connais pas de violeur qui ait honte de leur crime au point de le cacher aux autres codétenus.

Vos collègues de cellules, quoi qu’il ait fait sont vos compagnons de route. Pour autant pas de bavardages en cellule. Pas que les murs aient des oreilles mais à la limite, vous pouvez avoir été placé avec un mouchard qui cherche à réduire sa peine. Faites-vous respecter et respectez les autres : en prison, tout le monde est égaux sauf le dealer qui ne se drogue pas.

La cour est le lieu de discussion. Il est de rigueur en prison de raconter, pas dans les moindres détails, ce que vous avez fait. Tout le monde le fait ; vous ne faites que baver et ça n’ira pas aux oreilles du juge. Vous prendrez vite l’habitude de marcher en rond, en large et en travers : c’est que six m² de cellules en donne le besoin et l’habitude prise est telle que cela continuera pendant quelques temps après votre sortie.

Gardez votre estime et l’estime des autres : ne dormez pas tout habillé et prenez des douches aussi souvent qu’on vous le propose. Il faut tenir. En prison, vous verrez quelques fois de l’herbe, jamais D’arbre. Si vous étiez consommateur de drogue, le mieux est de faire du sport pour diminuer les conséquences de l’état de manque. Pompes dans la cellule et course à pied dans la cour; c’est bon pour tout le monde. Il y a des partisans de la prise systématique de somnifères pour la nuit. Personnellement, si vous ne participez pas, si vous ne coopérez pas, vous pouvez vous en passer. De toute manière, il y a une infirmerie et la possibilité de voir un médecin. Confiez-vous sur ce point, ils sont compréhensifs mais ne leurs faites pas dépasser les limites de leur fonction. 

Vous avez la possibilité de cantiner, c’est à dire de vous payer de l’amélioré : profitez en, si vous avez de l’argent et faites-en également profiter vos compagnons de cellules. Deux choses : au début, avant la réception de votre commande, il peut vous manquer des cigarettes. Promettez de rembourser plus tard avec de la bière qui est autorisée en prison et qui pour certaines longues peines prévisibles est le seul moyen le soir de s’évader un peu. L’autre chose, c’est qu’aussi en prison, vous trouverez la vie moins dure en ayant de l’argent. Pas que l’argent est roi mais facilite les relations et même un peu l’estime des autres. N’en profitez pas.
 


 
Garde à vue

Une lourde porte, des murs épais, des grilles sonores, une succession de grilles et de pas résonants, voilà comment on aurait pu résumer le décor que découvrait Franck. Jour d’angoisse, jour d’effroi et pourtant, presque un jour de soulagement, après trois jours d’interrogatoires, sans sommeil ou si peu.

Cette garde à vue, jamais il ne l’oublierait, pas plus qu’il ne souhaiterait à quiconque de connaître une telle situation. Il avait été si surpris, de découvrir le processus mis en oeuvre par la police pour aboutir à un dossier préliminaire. Peut-être que la procédure américaine, martelée par le cinéma et la télé, avait fini par occuper l’idée qu’il se faisait d’une enquête de police. Dans ce pays, un pays démocratique et défenseur des droits de l’homme, on n’a pas le droit de garder le silence. D’ailleurs, si l’on tente de rester muet, l’interrogatoire se durcit très vite. Franck n’avait pas pu parler au début, il était trop détaché du monde pour se préoccuper des formalités de l’enquête. Il était comme un agonisant qui se prépare à la mort. 

Qu’importe quelle forme elle prendrait, il s’offrait à elle, consentant à son engloutissement inéluctable, sans attacher la moindre matérialité à son environnement. Mais les policiers n’aimant pas ce silence, ils sont devenus experts, au fil du temps, pour provoquer le dialogue. Depuis des générations de questionneurs, on a affiné les méthodes, les techniques, pour qu’au terme de la détention préventive, un nombre suffisant de feuillets soient en mesure d’offrir à la justice une lecture substantielle. C’est à ce stade qu’un dossier devient non pas le reflet de la meilleure image possible de la réalité, mais un tissu de phrases donnant corps à une réalité plausible. Franck avait alors compris que l’essentiel n’était pas que les procès-verbaux constituent le film réel retraçant des faits et les acteurs concernés.

Non, l’essentiel, c’était de réussir à relier ces acteurs et ces faits, avec des détails connectables et plausibles de part et d’autre. Pour cela, il fallait bien obtenir des mots, des acceptations, des renoncements, au pire, des hochements de tête. L’image selon laquelle, durant un interrogatoire, quelqu’un interroge pendant qu’un autre tape fidèlement les propos qu’il entend est illusoire. Franck avait pu confirmer cela plus tard, auprès de camarades de cellule. C’est le flic qui met en forme les questions et les réponses, selon sa formulation. Qu’importe si l’ensemble des propos retranscrit est la réalité ou non et si la façon d’exprimer un fait est orientée ou non. De toutes façons, on se chargera bien de faire authentifier le document par une signature. Franck avait naïvement pensé que l’on pouvait revenir plus tard sur certains points, que face à un magistrat, ses prétendues déclarations pouvaient être corrigées.

Là encore, il s’était trompé. Tout ce qui est écrit et paraphé durant la garde à vue devient ensuite inamovible. On ne fera qu’apporter des précisions mais rarement on réussira à occulter un élément. Chaque mot, chaque phrase, une fois dactylographié, est inséparable de l’individu mis en cause, plus moyen de s’en défaire. Un PV ne meurt jamais, il survit même à son auteur dont le pouvoir suffit à en garantir l’authenticité. A présent, au terme des couloirs et des grilles, lorsque le claquement de la porte et de la serrure s’était refermés sur lui, il n’avait d’abord pensé qu’à une chose : dormir ! Il aurait tout le temps, tellement de temps, plus tard, pour verser d’autres larmes et regretter des propos. De toutes façons, à quoi bon puisque tout était terminé. Il n’avait pas reproché à la police et à la justice de l’avoir accusé à tort. Sa culpabilité, il l’acceptait sans tricher, sans chercher à limiter sa responsabilité. Il aurait seulement voulu qu’elle soit intacte, que sa traduction ne soit pas travestie, teintée par la personnalité de ceux qui l’ont formulé. Jusque là, Franck avait une image très traditionnelle de la justice. Il savait qu’elle n’était pas infaillible, mais il la voyait autrement, plus exacte peut-être dans sa façon formaliser des faits ou des témoignages et surtout plus respectueuse des êtres qu’elle sollicite.

Franck avait surtout souffert lors de sa garde à vue de savoir quelques uns de ses proches mis eux aussi sur le gril. Il avait su, après coup, les allégations insultantes qu’on avait pu proférer à leur encontre, les menaces, les pressions, les hontes piétinées. Oui, plus tard, bien plus tard, Franck avait fini par apprendre tout ce qu’il est possible d’utiliser pour obtenir des informations susceptibles d’étayer une thèse dès qu’elle semble se dessiner. Franck, après avoir pris connaissance de tous ces feuillets en préparant son procès avait pu alors constater la somme incroyable de mensonges et d’approximations accumulés dans ces PV. Ce papier qui, nanti de ses tampons et signatures devient incontestable. Il ne reniait pas la justification de son accusation, bien sûr que non, il ne comprenait pas que la notion de justice repose sur d’aussi faibles rouages dans lesquels un mot, une phrase peuvent tout changer et sûrement parfois mener un innocent au banc des accusés. Finalement, il comprenait une chose, c’est qu’il était effectivement possible qu’un innocent puisse se retrouver condamné, malgré sa bonne foi. Tout n’est qu’une question de circonstances, d’interprétation de faits, d’actes ou de paroles. Au bout du cheminement, qu’importe finalement, l’absence de preuve, la façon dont d’éventuels aveux ont pu être obtenus.

Ce qui compte, ce sont ces feuillets dactylographiés, la base inaliénable que va utiliser la justice pour n’admettre qu’une seule vérité possible, celle qui est contenue dans ce dossier. On ne revient pas sur un PV, on n’en annule pas non plus, même si par miracle il se révèle caduque par un autre témoignage. Dans ce cas on en ajoute un autre qui exprime le contraire, tout au plus. Quel monde étrange où le destin d’un homme se joue en trois jours et trois nuits, soixante douze heures où l’on s’acharne à extraire de lui et d’éventuels témoins, des résultats probants à fournir au parquet. Finalement, une garde à vue n’était rien d’autre qu’une course contre la montre, un challenge pour policiers qui doivent convaincre d’une thèse qui leur semble plausible. Ensuite, on emploie les moyens appropriés pour que les mots viennent et qu’ils s’articulent les uns avec les autres, que les PV soient aussi concordants que possible ou qu’ils s’affinent peu à peu en étoffant une vérité supposée. D’ailleurs, on coordonne les résultats des différents interrogatoires, de façon à poser les bonnes questions.

Franck avait souvent rêvé de faire une expérience fort enrichissante : il aurait bien aimé pouvoir effectuer l’enregistrement sonore d’un interrogatoire à l’insu des participants puis le comparer au PV final qui en découle. Non pas pour en contester le contenu, mais simplement pour mettre en évidence la reformulation des phrases, des questions et des réponses. Franck se souvenait qu’au début , il avait contesté les excès, puis peu à peu, il avait fini par céder à la reformulation systématique, celle qui va finir par donner une teinte un peu plus foncée au dossier. Pour les enquêteurs, ce challenge nécessite de forcer toujours le trait le plus possible. Après, il y a toujours le risque qu’un manque de détails fasse perdre du crédit à l’enquête, sans pour autant en faire gagner à l’accusé, bien sûr. Franck était persuadé qu’il était question de performance, de capacité à boucler un dossier aussi bétonné que possible, en toute bonne foi, sans que cela soit forcément en harmonie avec la vérité. Chercher la vérité, c’est aussi savoir chercher son contraire.

Mais cela demanderait beaucoup de temps. Appuyer les thèses d’une vérité esquissée, c’est plus facile à faire tenir dans un délai de trois jours. Des mots, rien que des mots, toujours des mots. Lui qui les aimait tant avait subi leur contre-pouvoir. Il avait compris que les mots n’appartiennent à personne et que leur sens dépendait non seulement de leur usage, mais aussi de leur utilisateur. Il avait compris que désormais, il faisait à jamais partie de ceux qui devraient se méfier des mots, de leur pouvoir, de leur force, de leur terreur. Et tous ces mots se mêlaient dans sa tête, dans un vaste tourbillon ou résonnait encore la lourde porte qui n’en finissait pas de claquer derrière lui. La grisaille de nouveaux murs venait s’y mêler. Plus d’espace dans cet univers glauque triste et crasseux, pas plus que dans sa tête embrouillée par cette fatigue irrépressible. Tellement de mots, assommants, stridents, plus de place autour de lui, plus de place dans sa tête, plus de place que pour la fin, il aurait voulu mourir là, sur place, vite ! Il aurait voulu pouvoir être seul et s’offrir une fin rapide. Même cela lui était interdit. La dernière chose qu’il avait comprise ce jour là, c’était qu’il allait devoir vivre avec ses remords, sa culpabilité et des tonnes de mots ! Demain serait un autre jour, demain peut-être, il serait capable de parler, de faire connaissance avec son environnement. Pour le moment, il ne pouvait que dormir, s’offrir aux cauchemars, se livrer aux angoisses de la nuit en espérant que le jour lui ferait le cadeau de le refuser et de le confiner dans la nuit, à jamais.


 
 
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